Voici le huitième épisode du naufrage du Charybdis.
C’est un des chapitres du livre d’Yves Dufeil.
Je vous réserve une surprise à la toute fin du récit et je suis certain que vous allez relire cette histoire par la suite d’une toute autre façon…
Voici donc la suite du récit.
Le naufrage du Charybdis : huitième épisode
– Paré aux torpilles !
– Reconnu optique !
– Distance 3000 mètres !
– Paré pour un tir en automatique !
Tout va maintenant très vite. Rapides et précis, les ordres fusent dans tous les secteurs du navire. Bien huilée, la redoutable machine de guerre est en marche.
– Arp, avez vous visuel sur le croiseur de tête ?
– Parfaitement, herr Kaleunt ! Pile dessus !
– Bien ! Sur le navire de tête, attention pour tirer ! Torpedo… Los… Los ! Sur le navire qui le suit, gisement 40 droite, dérive 20 !
– Placé !
– Los !
L’air comprimé siffle dans les tubes et à bref intervalle, retentissent les six « plouf » des torpilles qui plongent en direction de leur but.
– Lancement effectué !
– A toute la flottille : par la droite, virement de bord de 120 degrés ! Nouveau cap 218 !
Charybdis, 1 heure 43…
– Radar à passerelle, distance du but 4000 yards !
C’est le moment ! Le convoi est là, à portée des canons du croiseur ! Voelcker interpelle son officier d’artillerie.
– A vous Hollingdale !
– Bien Sir ! Tir de quatre éclairants ! Exécution tourelles A et B ! Tourelles C et D, alerte ! Tir à volonté dès que l’objectif sera en vue !
La lueur de départ des coups déchire la nuit, éclairant brièvement les tourelles avant. La déflagration secoue le navire et tandis que le grondement des pièces de 130 mm roule encore jusqu’à l’horizon, quatre obus dépotent dans le ciel, illuminant le Münsterland et son escorte de dragueurs.
Sur l’aileron bâbord de la passerelle, le maître Reg Pitt dont Nicholls est l’adjoint scrute intensément la nuit. Il n’a pas encore aperçu les Allemands. Ah si ! En voici un… puis un autre, juste derrière et encore un autre !
Mais… My God ! ces sillages qui filent vers nous !
– Alerte ! Torpilles au gisement rouge 85 !
Dennis Nicholls regarde aussitôt dans la direction indiquée et aperçoit à son tour les traits fluorescents des torpilles allemandes qui se dirigent droit vers le croiseur.
– Goodness gracious ! Elles sont pour nous !
Sur la passerelle, George Voelcker vient lui aussi de reconnaître le sillage mortel.
– A gauche toute pour l’amour du Ciel !
Frénétiquement, l’homme de barre tourne sa roue et lentement, beaucoup trop lentement, le croiseur commence à abattre sur la gauche. Trop tard !
Dans un fracas terrifiant, la première torpille explose juste sous la passerelle, projetant au sol ceux qui s’y trouvent. Ils n’ont même pas le temps de se relever qu’une seconde percute le croiseur dans un immense éclair blanc. La machine est touchée. Par la brèche de la coque éventrée, l’eau s’engouffre noyant les mécaniciens et les chauffeurs que l’explosion a épargnés. Des jets brûlants de vapeur s’échappent en sifflant des conduites rompues. C’est un effrayant désordre qui règne dans les fonds du Charybdis : débris de toute sorte, fumée, vapeur, poussière, corps sans vie qui entravent la progression des survivants et, pour rendre ce désastre encore plus terrifiant, voici que maintenant c’est la lumière qui s’éteint. Dans l’obscurité des compartiments du croiseur, en particulier dans la machine, c’est la lutte des rescapés pour atteindre une issue. Trébuchant, toussant, pleurant, ils se ruent vers le sas de sortie mais tous ne passeront pas et l’eau qui leur arrive à présent à la ceinture continue de monter inexorablement. Partout ce ne sont que cris de douleur ou de frayeur, des cris que la mer éteint les uns après les autres à mesure qu’elle emplit le navire.
Dès l’explosion de la première torpille, John Hamilton, l’ingénieur mécanicien principal a donné l’ordre de libérer la vapeur sous pression mais il n’est pas certain que dans le fracas son ordre ait été bien compris et ordonne l’évacuation de la chaufferie. Dans ce compartiment aussi, c’est l’enfer. Prisonniers de leur navire qui coule, les chauffeurs, les soutiers, les mécaniciens se précipitent vers le puits de sortie, à-demi fous de peur ou de douleur car certains ont été grièvement brûlés par la vapeur qui un peu partout jaillit en sifflant. La traditionnelle discipline de la Marine ne suffit plus à endiguer la frayeur de tous ces hommes qui ne savent que trop bien que si dans quelques secondes ils ne sont pas sortis de ce piège, ils n’auront plus aucune chance de revoir le jour. Sournoisement, drapée dans les plis de l’obscurité, la Mort cueille à pleins bras nombre de jeunes vies.
A l’étage supérieur et au niveau du pont, la situation n’est guère meilleure. Des incendies se sont déclarés et une fumée asphyxiante envahit postes et coursives. Des hommes affreusement touchés se traînent sur le sol en criant, espérant encore atteindre le pont et l’air pur. Parfois, l’un d’entre eux renonce à lutter ; les poumons emplis de gaz toxiques, il abandonne et se laisse emporter par la mort, sans un mot, sans un cri. Le Charybdis, ce croiseur au brillant palmarès n’est plus qu’un enfer dans lequel l’eau et le feu se disputent la proie.
Mais voici que quelques instants plus tard, tout l’arrière du bateau se soulève dans un bond fantastique. Une troisième torpille vient de frapper le navire. Cette fois, c’est le coup de grâce. La gite s’accentue et l’arrière s’enfonce de plus en plus vite.
HMS Limbourne, 1 heure 44.
Le matelot canonnier Harold Batty est le servant de l’affût de DCA bâbord du destroyer, juste sous la passerelle, sur le pont-teugue. L’action vient de s’engager et il se cramponne nerveusement à sa pièce, attendant comme le reste du navire, l’explosion de l’obus éclairant que le canon de 102 vient de tirer alors que le silence succède au fracas de départ du projectile.
Tout à coup, une lueur gigantesque apparaît sur le croiseur qui se détache brillamment sur le fond obscur de l’horizon. Un instant plus tard, une deuxième puis, une troisième explosion retentissent lugubrement. Sur la passerelle, une voix crie.
– Le Charybdis est touché !