L’Opération Loyton

Le lieutenant Maurice Rousseau faisait partie du SAS, le Special Air Service, une unité d’élite de l’armée britannique.

Le fils de Lacasse Rousseau de Montmagny se retrouve parachuté en Lorraine en septembre 1944.

Il ignore que son frère est mort.

Il ne survivra pas longtemps, comme plusieurs de ses camarades d’ailleurs.

Je vous mets le texte intégral de l’Opération Loyton trouvé sur le site de monsieur Villemin.

Il ne mentionne qu’une seule fois le nom de Maurice Rousseau.

Je vais attirer votre attention sur la note de bas de page numéro 4…

On se reverra ensuite vendredi prochain.


L’Opération Loyton


Le 3 février 2007, par Gérard Villemin

Envisagé dès le mois de mai dans le schéma de percée du massif des Vosges, ce qui s’appellera l’« Opération Loyton » a été définitivement décidé en juillet 44.

Elle est une pièce principale du dispositif prévu par l’état-major allié pour préparer et sécuriser l’offensive vers l’Alsace et le Rhin. Après nombre de simulations, le franchissement du massif en son centre est mis au point début août et planifié pour fin septembre au plus tard, et doit nécessairement s’appuyer sur la Résistance d’ici.

La stratégie générale prévue repose sur l’offensive éclair imaginée par Patton (sa 3ème armée avance alors sur une ligne de front qui s’étire de Chaumont aux Ardennes, déployée face à la barrière du massif des Vosges).

En résumé : percer au centre du front allemand en plongeant droit sur le centre Alsace par la vallée de la Bruche

Principales raisons :

– C’est le plus court chemin vers le Rhin. Et pour faire face, la Wehrmacht devra dégarnir ses forces situées au nord et le sud du massif

– Consécutivement, une percée simultanée est possible vers Strasbourg en contournant le massif par le Nord depuis Baccarat (la mission que réalisera la 2ème DB de Leclerc)

– Consécutivement, est soulagée la prévisible difficile poussée du 6ème groupe d’armées vers Mulhouse et Colmar (de Lattre et Patch enveloppant le massif par le Sud depuis la trouée de Belfort et Chaumont Langres)

Cette percée au centre repose sur l’effet de surprise, et implique de passer par où on ne s’y attend pas : les « petits » cols, du Donon, du Hantz, de Saales… pour ainsi dévaler droit sur le Rhin par la vallée de la Bruche

C’est pourquoi l’Opération Loyton a eu lieu, et ici

L’Opération Loyton est la plus vaste des opérations de la guerre menée par le SAS sur le territoire français.

Son extrême importance fait que des moyens exceptionnels sont mis en oeuvre :
Brian Franks, le « patron » du 2ème SAS, vient la diriger en personne sur le terrain, et 102 hommes des troupes spéciales britanniques sont parachutés ici en 6 principales vagues, échelonnées du 13 août au 28 septembre 44 [1]

– Le « Jed Jacob » du SOE : captain Victor Gough, capitaine « Baraud » (Maurice Boissarie), seargent Seymour (radio)

– 2 équipes du F Phantom (détachement du GHQ Liaison Regiment intégré à la SAS Brigade pour la reconnaissance et les transmissions) : captain John Hislop, lieutenant Peter Bowater Johnsen [2] sergeant Len Owens, sergeant Gerald Donovan Davis, signalman George Gourlay Johnston, signalman Peter Bannerman…

– 92 officiers, sous-officiers et spécialistes du 2ème SAS

La mission consiste à reconnaître et préparer le terrain derrière les lignes ennemies en avant garde de la 3ème armée US :

– Harceler les positions stratégiques allemandes, détruire les convois de matériels et d’armement

– Déstabiliser l’état-major de la Wehrmacht… Et bien sûr reconnaître et renseigner

– Coopérer avec les hommes du maquis, armer et équiper celui ci, coordonner les parachutages

Elle commence par le parachutage du 13 août à Le Mont qui largue 15 hommes :

– Le « Jed Jacob » du SOE, commandé par le captain Gough, et complété du capitaine « Baraud » (Maurice Boissarie, français) et du sargeant Seymour (radio)

– Les avant gardes du 2ème SAS, commandées par le captain Druce [3] assisté du captain de Lesseps (Français, alias Goodfellow) et du Lt Dill, et complété 4 hommes (sergeants Hay et Lodge, Pcts Crossfield et Hall)

– Un détachement du F Phantom, commandé par le captain Hislop, et complété du sergeant Davis et de 3 hommes (Pcts Johnson, Stanley, Sulivan)

– Et une imposante quantité d’armes et matériels

Elle se continue par 7 autres parachutages [4] :

– 1er septembre près de Veney : le colonel Franks, le captain Whately-Smith, le captain Sykes (officier de renseignements)… environ 20 hommes du 2ème SAS, une deuxième équipe du F Phantom avec le lieutenant Johnsen, le sergeant Owens… le commandant Derringer (venu pour prendre le commandement du GMA Vosges), et des compléments de matériels

– 6 septembre près de Veney : le major Reynolds, le Lt Black… environ 12 hommes du 2ème SAS

– 6 septembre à Le Mont : complément d’équipements et armement. Principalement destiné à l’équipement du Maquis d’ici (1er RCV FFI)

– 14, 18, 21 septembre dans Moussey même : la suite des effectifs (environ 30 hommes), le complément des matériels, et 6 jeeps spéciales équipées de mitrailleuses lourdes

– 28 septembre à Vieux Moulin : parachutage d’armes pour le Maquis d’ici (1er RCV FFI)

Notes :

[1] Sources précisant la composition des effectifs parachutés : témoignages d’époque et de vétérans, archives officielles, ouvrages traitant le sujet… et résultats de ses propres recherches aimablement communiqués par Wesley Richards

[2] Le Lt Peter Johnsen, parachuté à Veney le 1er sept 44, commandait la deuxième équipe du F Phantom. Voir le résumé de sa biographie dans cet article du Telegraph. Cliquer

[3] Captain (puis major) Henry Druce : l’organisateur terrain, omniprésent et audacieux, débrouillard et servi par une chance insolente (son nom est souvent phonétiquement orthographié : Dreks, Dreaks et autres fantaisies). Sa brève biographie dans le Telegraph. Cliquer

[4] 2 autres groupes viendront encore renforcer l’opération :

– L’un de 10 hommes du 2ème SAS, commandé par le major Peter Le Power, parachuté le 17 août près de Charmes et dont seulement 4 rescapés arriveront ici le 18 septembre sous le commandement du captain James Alastair McGregor (« captain Beverley »)

– L’autre de 10 hommes aussi, presque tous Français et appartenant au 3ème SAS (SAS français, comme le 4ème), commandé par le lieutenant canadien Maurice Rousseau. Parachuté dans la nuit du 9 au 10 septembre à Réchicourt (près de Sarrebourg) il opérera là et dans les environs de Blamont. Il sera presque entièrement décimé

[5] La réussite de l’opération impliquait que l’offensive américaine soit menée dans le très court moment où les premières troupes du maquis, aidées des SAS, étaient prêtes à opérer et où les Allemands n’« y croyaient » pas assez pour réagir

Mais voilà (quelles parts ont eu les réalités du terrain, les « visions » des hommes, les contradictions des stratèges des états-majors du SHAEF… ?) il fut fait autrement, et 2 mois plus tard. 2 bons mois après les derniers parachutages de septembre ! Tout en laissant croire chaque jour que « c’était pour le lendemain »… Ce qui transforma l’Opération Loyton en un terrible ratage, et inscrit la vallée du Rabodeau dans le « Guiness Book » des factures payées par la Résistance

Ce retard laisse SAS et maquis suicidairement exposés… Et voici ce qui s’est passé en lieu et place de l’offensive éclair programmée et de la libération des Vosges. Ceci prouvant par ailleurs l’excellence des services de renseignement allemands et la réactivité de ses états-majors :

D’une part, la systématique et implacable chasse à l’homme menée par les Einsatz Kommandos :

– La traque acharnée contre les parachutistes anglais (voir document PDF « Secret Hunters »). Pour les 92 hommes du 2ème SAS parachutés ici : 2 tués en combat, 29 capturés tous exécutés. Pour les 3 hommes du SOE Jed Jacob : 1 tué à Viombois, 2 capturés dont 1 exécuté et 1 gardé prisonnier. Pour le squadron du F Phantom : 3 capturés tous exécutés… S’y ajoute pour le SOE : 4 auxiliaires féminines capturées, toutes 4 exécutées au Struthof, pour le team du 3ème SAS parachuté en appui : la capture et l’exécution du lieutenant Rousseau et de 2/3 de ses hommes

– La chasse aux « terroristen » et l’écrasement du maquis et des populations civiles de la vallée du Rabodeau, au marteau pilon : la rafle et déportation du 24 septembre (144 hommes de Moussey et 285 des autres villages de la haute vallée déportés), la rafle et déportation du 5 et 6 octobre (392 hommes de Vieux-Moulin et Senones déportés), plus de 25 fusillés sur place…

Ces spectaculaires rafles ne faisant que compléter la longue liste des précédentes, et suivantes, opérations d’élimination de l’«Aktion Wald Fest» :
– La prise au piège du 17 août au Jardin David, désastreuse pour le GMA : la 2ème centurie démolie, une douzaine d’hommes blessés, tués, capturés (dont 4 parachutistes anglais)…
– La chasse à l’homme directement consécutive et la capture de plus d’une centaine d’hommes : déportation du 18 août (88 hommes d’ici), exécutions d’Allarmont (10 hommes fusillés sur les 12 capturés), puis exécution ou déportation dans les jours suivants d’une dizaine d’autres hommes de la vallée de la Plaine, 3 des 4 parachutistes anglais fusillés…
– L’hécatombe causée par « l’affaire » de la bataille de Viombois (4 septembre) : 57 hommes tués pendant l’assaut, puis les dizaines de fusillés, massacrés, déportés, dans la vallée de la Plaine et dans la vallée de la Vezouze (rafles de Pexonne et Badonviller)… et le sabordage du GMA Vosges !
– Les destructions, exécutions et déportations dans le voisinage : Etival et Saint Rémy, Raon l’Etape… le massacre du 22 octobre à St Prayel…
– Les répercussions plus ou moins directes un peu plus loin : destructions et déportations à Charmes, Rehaincourt, Saulxures sur Moselotte… encerclement, reddition et déportation des hommes du maquis de Grandrupt…

– L’abandon de l’Opération Loyton : le 9 octobre, devant l’inutilité flagrante de poursuivre et le gaspillage du courage et des vies humaines, le colonel Franks décide de faire rejoindre à ses rescapés les lignes alliées près de Baccarat. L’exfiltration durera jusqu’à la fin du mois, sera cauchemardesque et lourde en vies encore perdues

D’autre part, la volte face des troupes allemandes en retraite, décidée dès le 3 septembre pour bloquer les Alliés contre le massif des Vosges :

L’état major allemand met en effet à profit ces 2 mois de répit pour renforcer ses positions sur la plaine d’Alsace. Et peut opposer 200 000 hommes au moment de la « vraie » offensive alliée :
– Ceux de la 19ème armée qui a eu le temps de panser ses plaies des combats de la vallée du Rhone
– Ceux des 1ère armée et 5ème division blindée… venues en renfort
– …

Le blocage de l’avancée alliée… le long et sanglant piétinement de la bataille de la « poche de Colmar »… et le sursis offert aux ravages nazis dans les territoires encore occupés, sont les autres conséquences de ce fameux retard

Tout ceci ne devant en aucune manière occulter le courage et la conviction de tous ces hommes impliqués dans le « Maquis d’ici »… Ni la conviction des Allemands de se faire à coup sûr « ronger de l’intérieur », malgré les exécutions et déportations, s’ils s’agrippaient ici trop longtemps

[6] Durant toute l’opération et principalement pendant les terribles dernières semaines, ces hommes ont « habité » ici, soutenus par les gens d’ici : de Moussey et du hameau contigu du Harcholet. La plupart ont été hébergés, nourris, soignés par des familles courageuses

Leurs principales bases d’hébergement étaient Lieumont, les fermes Dony, Gander, Fays, Georges (le « Piton »), Launay des Grandes Gouttes… la maison forestière de Coichot, la maison forestière des Chavons (Georges Evrard)…

Ces hommes étranges, venus d’une « autre planète » mais si dynamiques, si courageux, très jeunes et porteurs d’un immense espoir, sont vite devenus des « enfants d’ici »