Pic Picard

Mis à jour le 10 février 2022 avec un article paru dans le Petit Journal du 30 décembre 1945 (voir à la fin du billet original)


Un de mes lecteurs qui m’a envoyé récemment cet article de journal.

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Le Nouvelliste

TROIS-RIVIÈRES, MERCREDI 7 MARS 1945

Les aventures d’un pilote de Spitfire

« Vous êtes veinard de me trouver ici aujourd’hui » me dit le lieutenant d’aviation Fernand Picard, de Montréal (1244 Boulevard Gouin Ouest) pilote de Spitfire de l’escadrille City of Oshawa actuellement en Belgique. Je pars cet après-midi en congé de deux semaines. Je m’en vais faire du ski à Chamonix. C’est un coin de pays dont je rêve depuis longtemps. »

Picard a cinquante heures de vol en opération de guerre. Sans doute oubliera-t-il à la frontière suisse les dernières envolées au-dessus de la mitraille. Nous prenons le déjeuner ensemble nous causons longuement.

Cet aviateur montréalais est dans l’Aviation canadienne depuis octobre 1941. Il gradua à St-Hubert en 1943 et puis se rendit en Angleterre où il put parfaire son entraînement au vol de guerre. C’est en septembre dernier qu’il prenait part à une mission sur Arnhem, sa première et dont il se souviendra toujours.

« Pour une première opération ce fut dur » raconte-t-il. « II s’agissait pour nous d’exercer une surveillance étroite au-dessus d’un pont que des parachutistes allemands voulaient faire sauter. La Luftwaffe fut très active ce jour-là. Notre mission fut assez productive puisque le pont resta en place et que nous descendîmes sept F. W. 190. Un huitième fut assez endommagé.

—Quelles furent alors vos impressions?

— Oh je vous assure bien que j’étais trop occupé. Nous sortons de nous mêmes dans des moments pareils. Ce n’est qu’au retour que nous semblons réaliser vraiment ce qui vient de se passer.

Le lieutenant Picard a effectué toutes ses sorties vers l’Allemagne et au-dessus des objectifs les mieux défendus. Il est d’avis que le nouveau système de défense anti-avion des Boches est plus terrible qu’il y a un an. « Dans certains coins il fait chaud je vous l’assure. II leur est très difficile de nous atteindre nous autres tout de même. Ils frappent mieux les bombardiers. J’ai pris part à quelques missions en Ardennes belges récemment… »

— Tiens vous devez avoir quelque chose d’intéressant à raconter à ce sujet n’est-ce pas?

— Le temps n’a pas favorisé l’aviation en décembre et vraiment nous avons été retenus au sol longtemps. Un matin, le soleil réussit enfin à percer le brouillard et nous reçûmes l’ordre de nous rendre au-dessus de St-Vith. Il s’agissait pour nous de bombarder des concentrations de troupes et de détruire du matériel. Regardez ces photos, nous ne les avons pas manqués. Mais la flak était dense et bien dirigée. En fait nous étions partis cinq Spits et deux sont revenus. Je fus atteint sous le fuselage et lorsque que je revins à la base je m’aperçus que je ne pouvais descendre mes roues pour l’atterrissage. Il me fallait faire tomber mon réservoir auxiliaire d’essence et tenter un atterrissage sur le ventre. C’était la 1ère fois que je tentais l’expérience. Lorsque mon réservoir se détacha je demandai toute la piste et vogue la galère. Mon Spitfire épousa le sol de façon magnifique. Je me suis remis un petit verre de cognac ensuite.

—Mais en plus de ces missions d’attaque, est-ce que vous êtes chargé d’un autre travail les airs?

— Oui, nous faisons l’escorte des Mitchell et des Marauder. Voilà un travail intéressant. Nous ne rencontrons pas beaucoup d’avions ennemis et la besogne nous est plutôt facile.

Le lieutenant Picard aime son métier. II est heureux dans les airs et comme tous nos pilotes canadiens il est le premier rendu dans sa carlingue lorsqu’il s’agit d’aller démontrer aux Boches de quel bois se chauffent les nôtres.

—Vous étiez ici le 1er janvier lorsque les Allemands ont effectué leur raid sur les aérodromes?

— Oui j’y étais. Il est admis que ce fut une surprise, mais ils l’ont payé cher. Je ne crois qu’ils se risquent de nouveau car ils trouveront certains changements dans la réception.

 

TRANSLATION

Le Nouvelliste

TROIS-RIVIÈRES, WEDNESDAY, MARCH 7,1945

The adventures of a Spitfire pilot

« You’re lucky to be here today, » said Flying Officer Fernand Picard of Montreal (1244 Gouin Boulevard West), Spitfire pilot of the City of Oshawa Squadron in Belgium. I’m going on a two-week leave this afternoon. I’m going skiing in Chamonix. It’s a part of the country I’ve been dreaming about for a long time. »

Picard has 50 hours of flight time in wartime operations. At the Swiss border, he will no doubt forget the last flights over war-torn Europe. We had lunch together and talked for a long time.

This Montreal aviator has been with the Canadian Air Force since October 1941. He graduated in St. Hubert in 1943 and then went to England where he was able to perfect his flight training. It was last September that he took part in a mission to Arnhem, his first and one he will always remember.

« For a first operation it was hard, » he says. » We had to keep a close watch over a bridge that German paratroopers wanted to blow up. The Luftwaffe was very active that day. Our mission was quite productive as the bridge remained in place and we shot down seven F.W.190. An eighth one was quite damaged.

―What were your impressions then?

―Oh I assure you, I was too busy. We don’t think about anything at times like this. It’s only when we get back that we seem to realize what really happened.

Lieutenant Picard made all his sorties over Germany and over the best defended objectives. He’s of the opinion that the German’s new air defense system is worse than it was a year ago. « In some places it was hot, I assure you. It was very difficult for them to reach us anyway. They hit bombers better. I’ve been on some missions in the Belgian Ardennes lately… »

―Here you must have something interesting to tell about it, don’t you?

―The weather was good for flying in December and we were really struck for a long time on the ground. One morning, the sun finally broke through the fog and we were ordered to go over St-Vith. It was about bombing concentrations of troops and destroying equipment. Look at these pictures, we didn’t miss them. But the flak was dense and well directed. In fact we five Spitfires were sent and two came back. I was hit under the fuselage and when I came back to the base I realized that I could not lower my landing gear. I had to drop my auxiliary fuel tank and try to land on the belly. It was the first time I had tried this manoeuvre. When my drop tank came off I asked for the whole runway to land. My Spitfire touched ground in a beautiful way. I got myself a little glass of cognac after.

―But in addition to these attack missions, what other kind of work do you have in the air?

―Yes, we escort Mitchells and Marauders. That’s an interesting job. We do not encounter many enemy planes and the task is rather easy for us.

Lieutenant Picard likes his job. He is happy in the air and like all of our Canadian pilots, he is the first one in his cockpit when the time comes to show the Germans what kind of pilots our people are.

―Were you here on January 1 when the Germans raided the airfields?

―Yes, I was there. It was admittedly a surprise, but they paid a heavy price for it. I don’t think they’re going to risk it again because they’ll find some changes in the reception.  

Fernand Picard était surnommé Pic par Gordon MacKenzie Hill.

Pic Picard B.174

J’avais écrit un billet sur Souvenirs de guerre en espérant un jour retrouver un descendant.  J’ai finalement eu ma réponse…

Fernand Picard 1917-1986


Mis à jour le 10 février 2022

 

Transcription

LE PETIT JOURNAL, 30 décembre 1945 13

« J’aurai mon avion personnel, » déclare un jeune pilote revenu sain et sauf de 113 sorties au-dessus de l’Allemagne

 

À peine descendu à Halifax et de retour dans son foyer, le jeune et brillant lieutenant de section Fernand Picard, 1244 ouest, boul. Gouin, qui a 1166 heures et 55 minutes de vol à son crédit et 113 sorties au-dessus de l’Allemagne, n’a qu’un désir: posséder son avion personnel et visiter le Canada en entier.

« Les États-Unis ont décidé d’entreprendre un programme de construction de pistes d’atterrissages, et il faudra bien que le Canada, à son tour, en vienne là. Pourquoi pas maintenant, puisque tôt ou tard il faudra répondre à la demande toujours croissante du transport par avion? » Voilà l’opinion d’un jeune qui a accompli plusieurs missions importantes au-dessus des territoires ennemis et qui fut cité à l’honneur non seulement dans les cercles de l’aviation, mais aussi dans les messages des correspondants de guerre et tout particulièrement par MM. Bruno Lafleur, Maurice Desjardins et autres.

Ce serait bien la moindre des choses, que le Canada permette à ses aviateurs revenus des cieux européens de mettre maintenant leur expérience au service du pays.

Non pas que ce soit une chose qui nous est due, souligne Picard, mais c’est une chose que le Canada dit aux Canadiens pour son propre avancement. Ce n’est pas une récompense pour les aviateurs qui sont de retour du front, mais un devoir pour le Canada de marcher au rythme des nations modernes.

Le lieutenant Fernand Picard dit qu’il est dix fois plus facile de piloter un avion commercial qu’un avion de guerre, « Spitfire » ou autres, et que par conséquent les aviateurs qui ont fait la guerre ont pour la plupart l’ambition de posséder leur « voiture aérienne » personnelle, soit pour leur propre agrément, soit pour gagner leur vie. Son ambition est de visiter Vancouver dont il a tant de fois entendu vanter les douceurs de la saison hivernale par ses camarades de l’escadrille 416 « City of Oshawa », qu’il n’a pas quittée durant 14 mois.

Un vrai Canadien

Le Canada, qui a toujours été son point de mire, est encore plus précieux aux yeux du lieutenant depuis qu’il a été mis en contact avec les Canadiens de toutes les provinces et, s’il était Canadien dans la force de l’âme avant son départ pour l’Europe, il aime encore plus son pays et se dit toujours prêt à le défendre. « Ce n’est pas aux autres à défendre le Canada, c’est le devoir des Canadiens de le défendre, tant en période de guerre qu’en période de paix. »

Le lieutenant de section Fernand Picard est natif de Bordeaux (Montréal). Après son cours primaire à l’école paroissiale, compléta ses études supérieures à St-Louis du Mile End puis à l’école supérieure St-Viateur. Il laissa sa situation pour s’enrôler définitivement le 17 octobre 1941. Depuis octobre 1939, il était de la force non permanente. Il fit plusieurs stages au Canada avant de s’embarquer pour l’Europe. C’est ainsi qu’il a été successivement cantonné à Québec, Lachine, Fingal, Victoriaville, et au Cap-de-la-Madeleine où, le 22 juillet 1942, il fit sa première envolée avec un instructeur. Moins d’un mois après le 13 août 1942, il accomplit son premier vol solo. Il passa ensuite à St-Hubert, où on lui remit ses ailes, et à Trenton, Ontario, où il rencontra un comparolssien M. Pilon; à Mont-Joli, il fit effectuer sa première envolée à un autre comparoissien, Pierre Beaudin, il y rencontra le frère de ce dernier, le chef d’escadrille Roland Beaudin. Ce fut ensuite Bagotville, où il s’entraîna particulièrement avec les avions de type Hurricane et finalement, les camps Borden et Greenwood, où il compléta son entraînement avec 822 heures et 30 minutes de vol. Fin avril 1944, il s’embarque à Halifax sur l’Empress of Scotland, anciennement Empress of Japan.

En Europe

De Liverpool, il est dirigé vers Ennsworth, centre de rassemblement des aviateurs qui, de là ils sont divisés pour alimenter plusieurs bases d’entraînement. Le lieutenant Picard fit un stage à Rednal où durant sept semaines il fit connaissance avec les Spitfire. Ce fut ensuite Montford-Bridge, pour l’entraînement final sur le même type d’avions.

Il fut ensuite dirigé vers Bognor-Regis, sur la côte sud-est de Angleterre, près de Happy-Valley, qui à l’époque recevait avec crainte les V-1.

Parvenu en Belgique, il remplace un pilote le jour même de son arrivée, une heure et demie seulement après avoir mis le pied sur le sol belge. Il était l’un des pilotes officiels de l’escadrille no 416 et commença son premier « sa première sortie » au-dessus d’Arnhem, en Hollande, où l’on avait laissé tomber des milliers de parachutistes. Il s’agissait de protéger le seul des deux points encore en usage de la route de Nimègue, au cas d’une retraite éventuelle de nos soldats, retraite qui ne se fit pas, grâce au succès de l’avance des armées alliées. Les patrouilles se composaient de 12, 6, 4 ou 2 avions, suivant les exigences de l’heure, et chacun des pilotes était muni d’appareil récepteur et émetteur.

Lors de l’une de ses toutes premières missions, le Lt Picard et ses onze compagnons durent faire face à un groupe de 30 avions allemands qui, comme c’était leur coutume, ne formaient pas une escadrille ordonnée comme chez les Alliés. Sept avions ennemis furent détruits et un endommagé. Les autres prirent la fuite sans avoir même effleuré les appareils de l’escadrille City of Oshawa. L’on avait pour mission de découvrir des positions ennemies, de couper des lignes de chemin de fer, de bombarder en plongées avec deux bombes attachées sous les allées, des cours de triage. comme celles d’Osnabruck (Allemagne) et plusieurs autres centres manufacturiers. Quand on avait réussi à bombarder les cibles indiquées ou que les nuages trop bas ne permettaient pas d’accomplir la mission, les bombes étaient dirigées sur d’autres centres connus où l’on fabriquait du matériel de guerre. On avait surtout pour mission de mitrailler du matériel roulant ennemi. « J’ai visité plusieurs villes allemandes, à partir de Cologne, la région de la Ruhr, Kiel, Yibeck et autres centres du Nord de l’Allemagne: 90 % des villes sont détruites et parfois les villes en entier, » dit le Lt Picard avec une joie dans l’œil et une satisfaction d’avoir été utile à son pays aux nations alliées.

« Je n’ai jamais pensé que le Canada devrait se laisser défendre par les autres, dit-il au moment où nous le quittons. Nous avons des privilèges, ici au Canada et ces privilèges nous confèrent des responsabilités. Il faut savoir prendre ses responsabilités et faire son devoir. »

Lors de sa sortie, il bombarda un train à Pritzwalk, à 60 milles de Berlin. « C’était le 18 avril 1945, la guerre ne tarda pas à tirer à sa fin, mais j’avais encore 14 sorties à effectuer. »

Le lieutenant Fernand Picard arriva à Halifax à bord du Monarch of Bermuda. Il est heureux d’être de retour avec les siens et souligne avec orgueil que l’escadre que formaient les escadrilles dont la 416, dont il faisait partie, était entièrement composée de Canadiens du plus modeste mécano au commandant.

Le Spitfire du lieutenant Picard a été touché à trois reprises par l’ennemi et chaque fois, le pilote montréalais emmena son avion à sa base. L’an dernier, la veille de Noël, ses roues d’atterrissage avaient été touchées; il fut forcé, comme on dit communément, d’’atterrir sur le ventre, » sans toutefois se blesser. Il est revenu de la guerre en parfait état physique, heureux de son expérience et encore plus heureux d’avoir servi son pays.

 

4 réflexions sur “Pic Picard

  1. Excellent !
    Une bouteille dans les airs donnent parfois le même genre de résultat qu’une bouteille à la mer, à ce que je constate…
    Tourlou !

    1. Oui mais ce n’est pas grave. J’aime honorer la mémoire de ces héros inconnus canadiens-français dont l’histoire a oublié les faits d’armes.

  2. Heureusement que tu le fais Pierre, parce que tu nous montres qu’une telle bouteille arrive parfois à destination…
    Tiens bon.

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