Il y a des photos comme celle-ci qui nous interpelle.

Texte d’un lecteur de Souvenirs de guerre (ci-dessous lien vers la version PDF)
Radio communications
Radio communications
Ce texte a été écrit des plus spontanément les 13 et 14 août 2021, suite à un rappel historique entendu à la radio matinale.
Quinze ans après la Seconde Guerre mondiale, dans la nuit du 12 au 13 août 1961, 15 000 soldats en armes de la République Démocratique d’Allemagne encerclèrent la partie de la capitale berlinoise qui, à la Conférence de Yalta, fut attribuée aux pays occidentaux (États-Unis, Royaume-Uni et France). Au matin de ce jour-là, des deux côtés de la ligne de partage entre « l’Est et l’Ouest », c’est en écoutant leur radio matinale que les Berlinoises et Berlinois apprirent que la frontière entre les deux territoires administratifs et politiques devenait définitivement close. Plus que nulle part dans le monde ce fut un choc brutal et la douleur de celui-ci dura jusqu’au 9 novembre 1989, Chute du Mur de Berlin.
Permettez-moi de vous raconter ici pourquoi cet événement historique se revêt d’un aspect particulier pour moi.
Le 7 octobre 1972, jour de mon seizième anniversaire, par respect de sa parole donnée autant que par prudence, en guise de cadeau sans emballage ni ruban, mon père eut l’idée de mettre sur la table de la cuisine une petite boîte transparente en plastique. Je la connaissais, bien que je ne l’avais jamais explorée. Par inadvertance, quelques années auparavant je l’avais trouvée un jour dans un tiroir « privé » de la maison, et ma mère m’en avait simplement dit qu’il s’agissait de photos du temps où il était « en Europe ». Mon père disait ainsi pour désigner ses années passées loin de Montréal, de 1940 à 1945. À son retour du travail, lui parlant de ma découverte de ce trésor, il m’avait simplement dit que lorsque je serais assez vieux pour comprendre certaines choses, nous en regarderions le contenu ensemble. Vous imaginez le contentement pour moi que le jour en question soit enfin venu !
Aussitôt le couvercle levé et la première photo sortie, mes questions se succédaient maladroitement. « C’était quand ? Tu avais quel âge ? C’était qui à côté de toi ? C’était où ? » et tutti quanti…
Mes questions se répétant selon mon envie pressante de savoir des choses, il m’apparaissait, à chacune qui se succédait, comme de plus en plus émotif dans ses réponses. Aujourd’hui j’ai compris que celles-ci l’ébranlaient. Heureusement, pour s’en ressaisir il avait presque à chaque fois la manière, les mots, l’explication par lesquels tout rentrait dans la norme.
Parmi ces photos qui motivaient mes questions, se trouvait celle-ci :
Collection personnelle
Il me répondit qu’elle avait été prise à Berlin, au Reichstag. Faisant partie de la troupe canadienne qui s’y trouvait immédiatement après la guerre, son détachement avait reçu ordre de se placer face aux Russes à l’endroit qu’on voit. Et surtout, que si ceux-ci avançaient vers le bâtiment sans en avoir demandé la permission, ils devaient tirer…
Le commandant leur avait dit que si la guerre contre les Allemands était bel et bien finie, il leur faudrait peut-être enlever aux communistes l’idée de s’emparer de toute la ville et que les choses pourraient très bien commencer au Parlement détruit de Berlin. Et pour finir, que certains généraux alliés comme Patton et d’autres aimeraient bien continuer la guerre pour les « repousser jusque chez eux ».
Je sentis alors mon père dans un drôle d’état, mélange de tristesse et de combativité, et en remettant alors tout dans la boîte, il annonça « Pis pour le reste, ce sera une prochaine fois. Allons manger au restaurant mon gars, il est passé six heures. »
Bien entendu, quelques occasions de discuter de cette époque se présentèrent encore au fil des années qui suivirent. Mais de cette photo précise, plus jamais il ne m’en a parlé.
À son décès, dix ans plus tard, je me suis mis en tête un jour d’en savoir plus de son périple à la guerre et, bien entendu, le jour arriva d’approfondir les choses pour cette photo. Photocopies en main, avec mon épouse comme complice, je me suis donc retrouvé en Allemagne en 2016. Et là, dès le premier jour de notre présence, j’ai eu confirmation que la photo avait bel et bien été prise en un endroit précis du Reichstag de Berlin. Nos efforts d’enquête trouvaient donc un premier aboutissement concret. Un premier, parce que nous n’en étions vraiment pas au bout de nos surprises.
Pendant plusieurs jours ensuite, nous avons donc sillonné Berlin et quelques victoires de plus, mais qui, désolé ne sont pas « au sujet du jour », suivirent. Revenus à la maison et depuis, les recherches continuent. Quelque temps passa et un autre fait étonnant nous vint au sujet du cliché de 1945. La photo de mon paternel montre l’endroit précis où, depuis le haut, fut prise la photo la plus connue du Reichstag en mai 1945 (pour être vraiment précis, je devrais dire la succession de photos prises entre le 1er et le 4 mai ). Soit, à l’aplomb exact l’une de l’autre.
Photo Alamy
Statue de pierre, tramway en carcasse, débris au sol, clochetons, etc.
Mais ce n’est pas tout puisque depuis, des informations ont été livrées médiatiquement qui donne ici à poser une hypothèse aux historiens.
D’abord, il y a plus ou moins deux ans, a été révélé l’endroit précis où les Russes avaient installé leur base-radio de communication avec Moscou pendant et après la Bataille de Berlin qu’ils ont gagnée. Lieu, tenu jusque-là secret par le Kremlin, d’où toutes les informations militaires partaient pour Moscou et où tous les ordres de Moscou pour Berlin arrivaient. En un mot, là où était le centre de radio-transmission russe. Celui-là même qu’on voit sur la photo datée du 2 mai par les historiens et qui présente des débris dans son entrée, cliché où on distingue deux tanks russes placés autour de manière à pouvoir croiser leurs tirs vers l’angle de rue avoisinant celle-ci (celui de gauche fermant l’accès à la rue et celui de droite pointant vers le camion militaire qui s’en trouve proche…
Et ensuite, il y a quelques mois, a été annoncé que depuis le tout début du mois de mai 1945, les Britanniques connaissaient si bien l’existence du point de communication russe en question que, sous le nez des Soviétiques, ils avaient installé un centre d’écoute secret doté du matériel le plus sophistiqué de l’époque dans une partie du Reichstag, directement en vis-à-vis de celui-ci. Ce qui aussi demeura secret jusque-là.
Lieu, s’il en est pour les Alliés, qui devaient certainement être protégés de toute découverte par les Russes. Et cela, sans doute peu importe la manière d’y parvenir…
Comme quoi plus de 75 ans après, non seulement il reste sans doute passablement de choses à découvrir de cette guerre qui défigura l’Europe et ravagea l’humanité toute entière, mais qu’il appartient à chacun-chacune de nous, modestes inconnus, et sans titre pour la plupart, d’y participer à la mesure de ce qu’il ou elle possède comme trace de ce passé.
Merci de votre lecture !
Et à une prochaine fois peut-être ici au plaisir de vous lire ?