Voici la suite de l’histoire du naufrage de l’Athabaskan écrite il y a 12 ans.
Se fondant dans la grisaille de l’aube naissante, la silhouette de Haida s’estompe rapidement.
Stubbs nage jusqu’au radeau d’Émile Beaudoin où on le hisse, sous les acclamations de ses hommes.
– Content de vous retrouver les gars !
Puis, s’éclaircissant la voix, il entonne le célèbre chant de la Marine Royale Canadienne.
« Roll along wavy Navy, roll along… »
Aussitôt, même les plus faibles reprennent en chœur derrière lui et c’est un spectacle bien étrange que ces malheureux transis de froid et englués de mazout qui au fond de leur détresse, se mettent à chanter parce que lui, leur Commandant, il chante !
Pendant ce temps, la vedette laissée par Haida poursuit sa difficile tâche qui consiste à mettre en sécurité les plus touchés et aussi malheureusement à faire un choix entre ceux qui ont une chance de s’en tirer et ceux qui n’en ont pas. Le choix est parfois terrible car aucun parmi eux n’a la moindre notion de médecine. Avec le quartier maître Mac Lure pour patron, l’armement de cette vedette va au cours des heures à venir, faire preuve d’un courage remarquable et d’une volonté de réussir qui ne faiblira pas un instant.
Dans la lueur blafarde de l’aube, alors que plusieurs blessés étaient embarqués ainsi que les deux matelots de Haida qui étaient tombés des filets, ils aperçoivent un homme qui fait la planche et semble assez mal en point.
– C’est le patron torpilleur, murmure l’un d’eux. Il n’a pas bonne mine le pauvre !
En effet, le maître torpilleur d’Athabaskan a bien mauvaise mine. Ayant été précipité à la mer quand le navire a coulé, il a essayé de trouver une place sur un radeau mais tous étaient déjà bien surchargés. Il a alors continué à nager en direction de Haida qu’il n’a pas pu rejoindre tant était grande
la force du courant et il s’est retrouvé seul avec pour tout bien un gilet de sauvetage. Epuisé par cette nage forcée, il s’est mis sur le dos et, s’engourdissant progressivement dans cette douce torpeur qui précède la mort de froid, il s’est abandonné à son destin. Lorsqu’on le tire enfin hors de l’eau, il reprend vaguement conscience.
-Mais qui diable êtes-vous ?
-La vedette de Haida !
– Ah brave Haida ! J’avais bien raison de croire qu’il ne nous laisserait pas tomber…
Et sur ces dernières paroles, il sombre à nouveau dans l’inconscience tandis que sur ses lèvres, un sourire persiste.
Mais revenons vers ceux des radeaux.
Cela fait maintenant deux heures qu’ils sont dans l’eau et le froid a fait de nouvelles victimes. Le Commandant Stubbs a glissé à l’eau et coulé, mais nul ne se souvient plus trop bien quand. Les chants ont fini par s’éteindre et dans le silence glacé qui a succédé chacun de ces malheureux a continué de puiser au plus profond de son être pour que la volonté ne faiblisse pas. Imaginez un instant ce que représentent deux heures dans les eaux de la Manche au mois d’avril. Ajoutez à cela la douleur des blessures même légères que la mer et le mazout irritent en permanence sans oublier la morsure de ce même mazout dans les yeux et sur les muqueuses. Pire encore, il y a ceux qui ont avalé l’infect liquide noir et qui à présent souffrent terriblement d’épouvantables vomissements. Ceux-là ne survivront pas bien longtemps.
Il fait grand jour lorsqu’une heure plus tard apparaissent à l’horizon sud trois navires. Venant de cette direction, il ne peut s’agir que d’Allemands ! Qu’importe après tout, ami ou ennemi, cela ne fait à présent plus aucune différence car le pont d’un navire, quel qu’il soit, est désormais leur seule chance de salut.
La fin demain…
Si vous avez des souvenirs de guerre de vos ancêtres que vous souhaitez partager, pour m’écrire…